Mythologie pédagogique
17 mythes déconstruits
Sous la direction de Jean-Louis Berger
Introduction
Déconstruire les mythes pédagogiques
Jean-Louis Berger
Soutenez-vous l’une ou plusieurs des affirmations suivantes?
La motivation est un trait de personnalité stable et peu modifiable de l’élève.
On apprend mieux si l’enseignement correspond à notre style d’apprentissage.
Les élèves créatifs utilisent leur cerveau droit, les élèves rationnels leur cerveau gauche.
Ces affirmations constituent ce que nous qualifierons de « mythes pédagogiques ». Autrement dit, il s’agit de croyances erronées, non démontrables selon une méthode scientifique, mais largement partagées, portant sur un objet lié à l’apprentissage ou à l’enseignement. Selon le Dictionnaire de l’Académie française, le mythe est une « représentation qu’un ensemble d’individus, en fonction de ses croyances, de ses valeurs, se fait d’une période, d’un fait, d’une idée, d’un personnage ». Il s’agit d’une image simplifiée que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu, d’un groupe, d’un fait.
On attribue généralement à la notion de mythe, au même titre que celle d’utopie et d’idéologie, un sens péjoratif (Godin, 1978). Ainsi, Bréhier (1914) écrit : « Le mythe n’est-il pas l’expression d’une pensée encore enfantine qui n’a pas encore su s’élever de l’image au concept, qui sait déjà raconter et qui ne sait pas encore expliquer? » (p. 362)
Le mythe permet de fonder des pratiques sociales et de renforcer la cohésion d’une communauté. Dans le champ pédagogique qui nous intéresse, cette image simplifiée ou cette représentation partagée a pour objet un fait pédagogique.
De l’intérêt d’étudier les mythes en pédagogie
Traditionnellement, un ouvrage en éducation présente des idées, des connaissances ou encore des méthodes qui intéresseront le lectorat du fait de leur nouveauté et de leur potentielle utilité. Le présent ouvrage adopte une posture différente en cherchant à mettre en évidence un certain nombre d’informations et de connaissances présentes dans le champ de l’éducation ainsi qu’à expliquer pourquoi celles-ci ne sont pas tout à fait correctes, voire pourquoi elles sont fondamentalement incorrectes.
L’ouvrage que vous tenez dans vos mains porte sur une question éducative, voire sociétale majeure. Dans le champ de l’éducation, plus précisément celui de la pédagogie, soit l’étude des processus d’apprentissage et d’enseignement à divers ordres scolaires et formatifs, nous trouvons une série d’informations qui sont erronées ou, du moins, pas tout à fait justes. Étant donné la rapide circulation des informations et leur quantité, il est difficile de distinguer le vrai du faux, comme dans nombre de domaines ou de disciplines.
« Distinguer le vrai du faux » n’est pas exactement la bonne formulation dans le domaine de l’éducation, où l’on fait face à la compréhension de phénomènes socialement et cognitivement complexes. En effet, la nature des connaissances est plus incertaine que dans des domaines tels que les sciences naturelles, car les connaissances évoluent rapidement et il s’avère souvent difficile de distinguer les connaissances (avérées, formalisées) des croyances (non avérées) (Pajares, 1992).
Ainsi, le présent ouvrage se consacre à mettre en discussion une série d’affirmations qui circulent dans les milieux éducatifs, que ce soit dans les familles, entre les générations, dans les écoles, mais aussi dans les instituts de formation à l’enseignement. Ces affirmations ne sont pas entièrement fausses; nous les qualifions toutefois de mythes, car elles contiennent une part d’erreurs, de savoir inexact. L’objectif de cet ouvrage est alors de déconstruire ces mythes et de porter un regard critique sur eux. Nous enjoignons au lecteur ou à la lectrice de ne pas considérer la notion de mythe comme étant une information à rejeter fondamentalement et directement, mais plutôt une information qui mérite une certaine modération et une compréhension approfondie.
Trois types de mythes sont traités dans cet ouvrage :
- Le premier type de mythes, constituant la première section de l’ouvrage, porte sur la question de la motivation. On y traite de la croyance selon laquelle la carotte et le bâton seraient efficaces pour motiver, autrement dit la récompense. Mais aussi de l’idée qu’il serait vain de chercher à motiver un∙e élève qui n’a pas envie d’apprendre.
- Pour le second type de mythes, l’ouvrage aborde sur pas moins de sept chapitres le processus d’apprentissage. Spécifiquement, ces mythes concernent par exemple l’idée que la mémoire serait une aptitude innée, que des élèves auraient la chance d’avoir la bosse des maths ou encore que la réussite scolaire dépendrait de l’intelligence de l’élève.
- Le troisième et dernier type de mythes porte sur l’enseignement, au fil de six chapitres. Dans cette dernière section de l’ouvrage, nous traiterons de l’idée que l’enseignement est un don (et donc qu’il vaut mieux en disposer pour embrasser la carrière), de la question des pédagogies constructivistes en comparaison aux pédagogies explicites ou encore du présupposé que les neurosciences révolutionnent l’enseignement.
Si chaque chapitre peut être lu indépendamment des autres, il existe cependant des liens évidents entre leurs thèmes. Ainsi, il peut s’avérer pertinent d’en consulter un certain nombre faisant partie d’une même section de l’ouvrage. Les mythes ont été choisis spécifiquement par le coordinateur du présent ouvrage à partir de ses connaissances dans le champ des sciences de l’éducation, mais aussi d’une multitude d’échanges avec divers acteurs et actrices de l’éducation au cours des 20 dernières années.
Le sujet des mythes pédagogiques présente une importance majeure. En effet, les pratiques d’enseignement et, plus généralement, les pratiques éducatives reposent en large partie sur des informations qui sont considérées comme des connaissances formalisées et vérifiées, alors qu’une partie de ces informations est en fait contredite par les observations réalisées grâce à des dispositifs systématiques de recherche. Une autre partie de ces informations a pu présenter une certaine validité par le passé, mais nous savons aujourd’hui que ces informations – ces mythes – ne sont pas exactes. Il s’avère alors essentiel, pour les spécialistes en sciences de l’éducation, de communiquer à un public aussi large que possible le fait qu’une partie des informations et connaissances valorisées et transmises en éducation est en fait erronée.
La forme choisie pour cette communication est le texte de réfutation (Kendeou et collab., 2014), qui présente le mythe, puis les raisons ou éléments de son inexactitude et, enfin, des éléments de correction. Une récente méta-analyse fondée sur 71 études a permis d’apporter des preuves de l’efficacité de ce type de textes pour corriger les conceptions erronées des individus (Danielson et collab., 2024).
La communication se déroule évidemment aussi durant des formations initiales et continues, que ce soit en sciences de l’éducation ou en formation à l’enseignement. Par conséquent, il nous a semblé judicieux, voire intéressant que ces mythes pédagogiques soient déconstruits et contredits par des étudiant·e∙s en s’appuyant, bien évidemment, sur des connaissances avérées scientifiquement, ce qui leur permet d’argumenter et de présenter les mythes en question.
Des chapitres rédigés dans le contexte d’un enseignement universitaire et révisés par les pairs
Les chapitres ont ainsi été rédigés par des étudiant·e∙s en Master de sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Fribourg en Suisse, dans le cadre d’un cours nommé Expertise pédagogique donné en 2024. Les étudiant·e∙s ont travaillé en duo sur un semestre complet, soit une quinzaine de semaines, pour rédiger en plusieurs fois un texte d’une longueur d’environ 3 000 mots, selon une structure imposée par l’enseignant – qui est par ailleurs le coordinateur du présent volume.
Un total de 10 à 15 références bibliographiques de nature scientifique et publiées dans des revues reconnues par la communauté scientifique en sciences de l’éducation et, plus généralement, en sciences humaines et sociales a été demandé pour chaque chapitre. Un travail on ne peut plus sérieux a ainsi été effectué pour que les mythes soient présentés de manière précise dans leurs tenants et aboutissants, mais aussi pour proposer des solutions afin d’éventuellement contrer le mythe en question. De plus, les textes s’appuient directement sur des sources validées en grande partie par la communauté scientifique.
Spécifiquement, les chapitres ont été rédigés en trois versions successives. La première version, couvrant déjà les différentes sections du texte, a été déposée sur une plateforme en ligne, puis relue de manière approfondie par deux duos de collègues étudiant·e∙s ayant aussi rédigé un texte sur un mythe. Cette relecture s’est appuyée sur une grille fournie par l’enseignant, laquelle permettait d’attribuer un jugement quantitatif sur une quinzaine de critères, allant de la qualité scientifique de l’argumentation à la qualité rédactionnelle, en passant par la qualité des sources. Les critères jugés moyennement satisfaisants ou peu satisfaisants sur le plan quantitatif ont ensuite été commentés spécifiquement et verbalement dans le même document. Cela a permis à chaque groupe ayant rédigé un chapitre sur un mythe de recevoir trois ou quatre expertises afin de présenter une version révisée et bonifiée du chapitre. Chaque groupe a non seulement révisé son chapitre, mais il a aussi répondu aux commentaires reçus en expliquant notamment ce qui serait changé dans le texte et quels commentaires seraient non appliqués ou rejetés, car jugés relativement peu pertinents.
Ce même processus, similaire à ce que nous connaissons dans la publication scientifique sous le terme d’examen par les pairs (peer reviewing), a été appliqué une seconde fois par trois ou quatre autres collègues qui ont offert leurs commentaires. Ce processus a permis d’aboutir à une version finale de chaque chapitre.
Ensuite, les chapitres ont été relus et modifiés sur la forme, notamment la cohérence de l’utilisation de certains termes, l’utilisation du langage inclusif ou encore l’adéquation de la citation des références bibliographiques. Enfin, une relecture linguistique professionnelle a été réalisée.
De la complémentarité avec d’autres travaux sur le sujet
L’idée de traiter des mythes en contexte éducatif a déjà été abordée dans diverses publications.
Notamment, il existe une collection nommée Mythes et réalités publiée par l’éditeur Retz, sous la direction d’André Tricot. Cette collection porte sur une série de thèmes liés aux sciences de l’éducation. On y trouve un ouvrage relativement proche de celui-ci rédigé par Emmanuel Sander et ses collègues (2018), qui porte sur les mythes relatifs aux neurosciences en éducation. Le présent ouvrage se distingue des apports de cette collection notamment par une série de quatre chapitres de mythes liés à la question de la motivation dans l’apprentissage. Il se distingue également de cette collection par le fait que ce sont des étudiant·e∙s qui ont produit les chapitres et qui ont cherché à rédiger les idées de manière aussi accessible que possible à l’adresse du grand public.
Par ailleurs, la revue Le Télémaque, publiant des travaux en philosophie de l’éducation, avait consacré un dossier au thème Mythes en éducation/mythes de l’éducation en 2011, sous la direction de Laurence Gavarini et de Dominique Ottavi (2011). Les thèmes spécifiquement abordés étaient relativement éloignés du contenu proposé dans le présent ouvrage.
Dans un récent numéro de la revue Enfance coordonné par Serge Larivée (2024), des mythes relatifs à l’intelligence sont traités. Notamment, la théorie des intelligences multiples de Gardner est réfutée, comme c’est le cas également dans le présent ouvrage.
Wendy S. Grolnick et ses collègues (2024) discréditent une série de mythes sur la motivation humaine dans divers contextes tels que l’école, le travail, la santé ou encore la parentalité.
Enfin, comment passer à côté de l’ouvrage de Naomi Oreskes (2019) Why trust science?, qui décompose comment la science et ses découvertes sont remises en cause, voire décrédibilisées par divers acteurs et actrices ainsi que les fondements épistémologiques du progrès scientifique.
Nous avons l’espoir que la lecture des différents chapitres de cet ouvrage permettra au lectorat de déconstruire certains mythes en éducation et, plus généralement, de le faire réfléchir aux connaissances que nous possédons sur l’éducation, à leur véracité et aux débats qui agitent le monde de l’enseignement et de l’éducation.
Bibliographie
Belmont, N. (1970). Les croyances populaires comme récit mythologique. L’Homme, 10(2), 94-108. http://www.jstor.org/stable/25131503
Bréhier, E. (1914). Philosophie et mythe. Revue de métaphysique et de morale, 22(3), 361-381. http://www.jstor.org/stable/40895292
Danielson, R. W., Jacobson, N. G., Patall, E. A., Sinatra, G. M., Adesope, O. O., Kennedy, A. A. U., … Sunday, O. J. (2024). The effectiveness of refutation text in confronting scientific misconceptions: A meta-analysis. Educational Psychologist, 1-25. https://doi.org/10.1080/00461520.2024.2365628
Gavarini, L. et Ottavi, D. (2011). Présentation [Dossier Mythes en éducation/mythes de l’éducation]. Le Télémaque, 2(40), 29-32. https://doi.org/10.3917/tele.040.0029
Godin, G. (1978). Mythe, science et philosophie. Laval théologique et philosophique, 34(1), 3-13. https://doi.org/10.7202/705645ar
Grolnick, W. S., Heddy, B. C. et Worrell, F. C. (2024). Motivation myth busters: Science-based strategies to boost motivation in yourself and others. American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/0000412-000
Kendeou, P., Walsh, E. K., Smith, E. R. et O’Brien, E. J. (2014). Knowledge revision processes in refutation texts. Discourse Processes, 51(5-6), 374-397. https://doi.org/10.1080/0163853X.2014.913961
Larivée, S. (2024). Introduction : mythes et conceptions erronées à propos de l’intelligence. Enfance, 1(1), 5-10. https://doi.org/10.3917/enf2.241.0005
Oreskes, N. (2019). Why trust science? Princeton University Press.
Pajares, F. (1992). Teachers’ beliefs and educational research: Cleaning up a messy construct. Review of Educational Research, 62(3), 307-332. https://doi.org/10.3102/00346543062003307
Sander, E., Gros, H., Gvozdic, K. et Scheibling-Sève, C. (2018). Les neurosciences en éducation. Retz.
Table des matières
- Introduction
- Mythes sur la motivation
- Mythes sur les processus d’apprentissage
- Mythes sur l’enseignement
INTRODUCTION DÉCONSTRUIRE LES MYTHES PÉDAGOGIQUES
Jean-Louis BERGER
CHAPITRE 1 CAROTTE ET BÂTON SONT EFFICACES POUR MOTIVER
SAUTHIER ELISA ET KELLER BONITA
CHAPITRE 2 LA MOTIVATION FAIT PARTIE DE LA PERSONNALITÉ DE L’ÉLÈVE
DA SILVA Sara et RIGHETTI Laura
CHAPITRE 3 ON NE PEUT PAS MOTIVER UN∙E ÉLÈVE QUI N’A PAS ENVIE D’APPRENDRE
BULLIARD Laura et MOHLER Solène
CHAPITRE 4 PLUS L’APPRENANT∙E EST MOTIVÉ∙E, MIEUX IL OU ELLE RÉUSSIT
OSTINI Arianna et RANA Mariastella
CHAPITRE 5 LES APPRENANT∙E∙S SONT PLUS EFFICACES SI L’ENSEIGNEMENT CORRESPOND À LEUR STYLE D’APPRENTISSAGE
PEQUIGNOT Mathis et MICHELLOD Laura
CHAPITRE 6 LES ÊTRES HUMAINS ONT DE MULTIPLES INTELLIGENCES (GARDNER, 1997)
ODIN Angélique
CHAPITRE 7 CERTAIN∙E∙S APPRENANT∙E∙S SONT « CERVEAU DROIT » (CRÉATIVITÉ), D’AUTRES SONT « CERVEAU GAUCHE » (RATIONALITÉ)
QUINQUARD Lola et CRETTON Elisa
CHAPITRE 8 CERTAIN∙E∙S ÉLÈVES ONT LA BOSSE DES MATHS
FACCOLI Alessia et LUISONI Alice
CHAPITRE 9 LA RÉUSSITE SCOLAIRE DÉPEND DE L’INTELLIGENCE
BELA Arianna et CANEVASCINI Sabrina
CHAPITRE 10 ON PEUT APPRENDRE SANS COMPRENDRE
BRIGUET Lea
CHAPITRE 11 LA MÉMOIRE EST UNE APTITUDE INNÉE
NISSILLE Morgane
CHAPITRE 12 ENSEIGNER EST UN DON
RATHLEF Lea
CHAPITRE 13 PLUS ON A D’EXPÉRIENCE, MIEUX ON ENSEIGNE
SCHÜPBACH Antonie
CHAPITRE 14 LES PÉDAGOGIES CONSTRUCTIVISTES SONT PLUS EFFICACES QUE LES PÉDAGOGIES EXPLICITES
DAENZER Annabelle et FOURNIER Fanny
CHAPITRE 15 ENSEIGNER DES STRATÉGIES D’APPRENTISSAGE FAVORISE L’APPRENTISSAGE
BEUCHAT Alessia et STRAHM-GIRARDET Sophie
CHAPITRE 16 LES NEUROSCIENCES RÉVOLUTIONNENT L’ENSEIGNEMENT
GIROD Victor et HENDERSON Paola
CHAPITRE 17 LE NUMÉRIQUE PERMET D’APPRENDRE PLUS FACILEMENT
HÉRITIER Cendrine et MEYNET Alexane
Cet ouvrage collectif propose une réflexion approfondie sur certaines croyances tenaces qui continuent d’influencer le domaine de l’éducation. Il s’attache à démonter des idées reçues, telles que l’importance des styles d’apprentissage, la considération de la motivation à apprendre comme un trait de personnalité ou encore le fait qu’enseigner serait un don. L’ouvrage se distingue par son approche rigoureuse, fondée sur une analyse critique des données scientifiques disponibles. Les chapitres, rédigés par des étudiants en master de sciences de l’éducation à l’université de Fribourg, ont été soumis à un processus de relecture et de révision par les pairs.
Au-delà d’une simple remise en cause des pratiques existantes, cet ouvrage invite à une réflexion sur la complexité des phénomènes éducatifs et sur la nécessité de remettre en question des notions trop souvent acceptées sans preuve. Les analyses présentées apportent un éclairage essentiel pour quiconque souhaite comprendre les limites de certaines théories en éducation.
Cette Mythologie pédagogique constitue un outil utile pour les praticiens, chercheurs et étudiants désireux de dépasser les idées reçues et d’adopter une approche plus critique et éclairée dans le domaine de l’éducation.